La Terre de Feu

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Terre de Feu : De Punta Arenas à Puerto Williams

Carte générée avec GMT (Generic Mapping Tools, de Paul Wessel et Walter Smith)

Après notre escale forcée à Puntas Arenas où l'ami Christian serré par le temps a débarqué, nous voilà à nouveau dans les confins sauvages. La Terre de Feu commence du côté sud du Détroit de Magellan

Maudit soient les bidasses, leurs bateaux gris ou noirs, leur autoritarisme primaire. Pour regagner la Terre de Feu, il a fallu soixante milles au plus près, dans un Magellan pas tendre du tout, voire glacial, repasser le cap Froward, pointe la plus australe du continent sud-américain, au ras des cailloux dans le contre-courant, en comptant les milles dans l'embrun et les chocs. Enfin, perdre un compagnon d'aventure de valeur, à cause d'un képi kaki me remplit d'une rage froide au goût d'acier.

Heureusement, nous retrouvons sous le manteau protecteur de la haute montagne, les douces caletas creusées par l'eau, la glace et le feu. Elles offrent leur bienheureuse sérénité au bateau. Aux navigateurs, le repos, le plaisir d'une escapade vers un lac de montagne, le balai spectaculaire d'une otarie curieuse autour du casier à crabes, le ridicule des canards vapeurs, incapables de voler, fuyant dans un crawl de pattes et d'ailes hilarant mais très efficace le grand oiseau de métal et de voile qui s'approprie pour la nuit son territoire.

Terre de Feu, terre de glace, pays aux mille contrastes. Domaine où des rafales terribles, en tourbillons rageurs soulèvent algues, embruns, lumières, vers des nuées tourmentées de vortex nuageux au sombre inquiétant.

Pays d'une douceur délicieuse. Au détour d'un canal champêtre, tout d'arbres et de vallons, dominé d'arêtes enneigées de glace, il vous surprend d'un souffle chaud, andalou, dans les piaillements d'une multitude d'oies, de canards, de cormorans. Terre sauvage émouvante, de toutes ses facettes, de ses fjords et vallées innombrables, de sa puissance de haute montagne mariée aux maîtres océans elle résiste à toute domination à toute colonisation, à toute médiocrité humaine ou pas.

Les flirts incessants du voilier avec les récifs extérieurs sont sources intarissables d'émotions variées. Les îlots "Furies", l'île "Furia", le "Seno Occasion", frappent de leur nom et évoquent l'état d'esprit de nos prédécesseurs, découvreurs de ces splendeurs austères où dans ces roches blanches d'être lavées de sel, de pluie, le vent hulule, seul témoin de notre solitude, de notre isolement, de notre fragilité.

L'amour vache d'une géante de la montagne, en rut permanent avec deux titans marins, Atlantique et Pacifique, a semé une myriade d'épaves de granit au long d'une côte propice à la vie marine. L'odeur musquée des otaries jouxte les cris lugubres du skua cruel. L'albatros, la sterne, le pétrel, dansent, dans un ciel mouvant chargé de tous les nuages, de leur vol ample, la liberté du chasseur sauvage.


Le baromètre ici, touche le fond. Parfois, il n'hésite pas à empiéter sur le thermomètre en dessous de lui.. Sa butée à 970 millibars est très sous dimensionnée pour cet incroyable pays. On double les amarres, on vide l'annexe, on triple ses attaches. Les focs sont soigneusement pliés ou rabantés solidement aux filières. Les aérateurs sont bouchés depuis longtemps.

Pour voir dehors, il faut s'équiper puis sortir... Les doubles vitrages de polyane, remèdes à la condensation, opacifient tous les capots. Le chauffage ronronne, le chat couché dessous aussi. Dehors, il neige, il grêle, des rachas terribles tendent les bouts au vent. Heureusement, ils sont amarrés à des bonzaïs d'arbres solidement ancrés dans la roche. Naviguer est redevenu un vrai sport, nous nous croyons revenu au temps des régates. A deux nous manoeuvrons en permanence, le bateau bondit, gîte, se couche parfois, repart comme un petit dériveur en contreplaqué alors qu'il pèse 11 tonnes et porte 25 m² de toile pour 105 disponibles.

Nous nous amusons beaucoup, les glaciers sont là, le Horn approche.

Depuis quelque temps déjà, nous naviguons avec un autre voilier croisé au détour des solitudes. Bordelais, Mallory, comme nous, joue l'explorateur. Nous retrouvons ces ambiances de pionniers associés dans le voyage pour combattre le danger. Le soir autour de chaleureux apéros, nous comparons nos sensations, toujours fort massives. Nous sommes bien vivants, nous en sommes sûrs.

Sur ce sloop de 12,50 mètres en polyester (un Gib Sea 126), nos nouveaux compagnons d'aventures, Philippe, Blandine, leurs deux enfants Océane et Ronan ont entrepris un tour d'Amérique du Sud en 4 ans. De Bordeaux a Bordeaux. Nous avons allié nos forces, nos bouts, nos connaissances pour arriver sains et saufs à Puerto William. Pour chasser le canard aussi, comme le montre la photo ci-dessous.


Canal Noroeste, le canal des glaciers. Ici, au milieu des splendeurs de glace tapis au fond de longs Seno, Morgane a inauguré un nouveau métier, brise glace. 

Nous avons passé des nuits somptueuses, mouillés dans de petites niches de pierres, d'arbres, bercés par de joyeuses cascades avec pour compagnon sous la nuit étoilée un monstre de millions de tonnes ronchonneur et souverain. La glace, incroyable élément, bleue, blanche, noire ou translucide, a toutes les formes, tous les volumes, elle descend en un serpent dément, titanesque des cimes blanches, plonge son pied d'airain blafard dans une eau laiteuse, glaciale, traîtresse. Dans sa masse immense, des cryptes bleutées offrent leur beauté au visiteur téméraire dans le braillement des phoques excités vautrés alentour sur les roches mises à nues par la récession du monstre.

Au matin, pour s'échapper du blocus des glaçons échoués sur un seuil de moraine, il faut après un slalom entre pack compact et sonde perverse, lancer le voilier dans la mélasse blanche entre deux petits icebergs. Ca craque, ça griffe, les glaçons héritent d'un peu de rose, mais ça passe.

Tout à coup, le vol d'un condor, suprême de noblesse, nous enlève au réel, plus rien n'existe que sa liberté énorme, sa beauté immense. Il doit dépasser les 3 mètres d'envergure.


Le lendemain, dans ce qui est probablement le plus impressionnant monument de glace que nous aurons vu, ça devient carrément très scabreux. Une nuit de cauchemar, un fleuve de glace déferle du glacier à marée descendante, il faut vite sortir l'annexe, menacée de destruction. Le bruit, les chocs des glaçons, gros cette fois, sur la coque, nous glacent le sang. Mallory, tapi à couple sous notre vent, évite les pires blocs. Toutefois être en plastique dans ces coins-là, ça use les nerfs.

Le vent, justement choisit bien son entrée en scène, croyez-moi, pas de la figuration, les bouts à terre, tendus à mort par les rafales et le poids de la glace, semblent bien petits tout à coup.

Au matin , on fuit ventre à terre dans les rachas ; la glace ? on l'emmerde, c'est-y la castagne qu'elle veut ? Y-en a, 11 tonnes d'acier et aux commandes deux fous furieux.

Mais dehors c'est Tyson qui nous attend.. D'entrée de jeu, dans le canal principal, on évite le tapis 2, 3 fois à l'instinct. Le baromètre a sauté sans parachute. Le bateau, à sec de toile, fonce à six noeuds au petit largue. Ceux qui connaissent Morgane apprécieront.

Visibilité zéro. Malgré l'étroitesse du chenal, cinq milles environ, la mer est défoncée. Je pense qu'on appelle ça du 11 beaufort, mais je suis gascon, alors pour les bretons on va dire qu'il y a un peu de vent...

On trouve quand même la caleta du salut, merci la navigatrice, mais sur une saloperie de champ de kelp, les ancres mordent mais partent avec le fond !!!! Ca finit à l'abordage de la falaise, le bout entre les dents. Sauvés ! Le bateau est sauf, nous aussi. Amis de la charentaise bonsoir !!!

La fin des glaciers a été fabuleuse, on a même eu le soleil pour les photos. Ils débouchent tous les uns derrière les autres en monumentales cascades dans le canal principal, dantesque.

Pour finir, les cornes au cul sous foc 4, nous avons dévalé le Beagle, posé des ancres a terre pour tenir le bateau dans un paysage qui ravale la Bretagne au rang de jardin tropical et nous voilà à méditer une stratégie Cap Horn pré-hivernale comme deux vieux régatiers au bar après la douche chaude.

Puerto Williams, la ville la plus sud du monde... nous y voilà, à 200 milles du Horn...

 

 

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