Une chatte tahitienne cap-hornière

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Le fabuleux destin de

 Petite Mère

 

L'unique équipier qui nous ait accompagnés depuis le début, à Tahiti, jusqu'à la fin, à Puerto Williams, c'est notre chatte. Aucun chat ne se ressemble, mais il nous semble que Petite Mère en est un extraordinaire qui a gagné le droit à sa page perso. Voici son histoire, ou tout au moins ce que nous en connaissons.

 

Sa vie tahitienne :

Personne ne sait rien du début de la vie de cette chatte. Elle est arrivée un beau jour à Technimarine, le chantier naval où Gilles travaillait. Cela devait être il y a trois ans. Comme elle sait si bien le faire, elle s'est intégrée sans bruit. Elle a imposé sa présence aux chiens errants qui l'auraient dévorée sans états d'âme, aux ouvriers tahitiens qui, pour rigoler, lui lançaient parfois quelques boulettes de riz blanc sensées tromper sa faim. Et Petite Mère, mettant bas tout orgueil, s'est protégé des chiens, soit en fuyant, soit en se battant. Elle a survécu en mangeant du riz blanc et du pain. 

A cette époque, c'était une chatte toute frêle, une tigrée européenne, avec les pattes et le poitrail blanc. Un vrai chat de gouttière, rustique et sauvage. Impossible bien sûr de la pendre sur ses genoux, même aux apéros du vendredi soir où on la gavait de boules apéritives parfumées au fromage (ce goût pour les produits apéritifs lui est resté, d'ailleurs).  Evidemment, elle s'est mise à faire des petits. Une portée tous les 4 à 6 mois. Le problème de nourriture devenant plus crucial, elle s'est attaquée aux rats. Il n'était pas rare de la voir passer avec un gaspard dans la gueule pour aller nourrir ces petits. Mais, rien n'y a fait, ils sont tous morts rapidement. Les plus robustes, ceux qui avaient échappé à la mal-nutrition, se faisaient dévorer par les chiens du chantier dès qu'ils pointaient leur museau dehors. 

Heureusement pour elle, lors de sa deuxième année à Technimarine, est apparu Marco. Marco, c'est la mère Thérésa des chats. Il en a trois à bord, et ne voulant pas en amener un quatrième, il l'a néanmoins nourrie et protégée sur le chantier. Dans son contener, il a ménagé une chatière pour qu'elle et ses petits passent des nuits tranquilles.  

Cette vie "tranquille" aurait pu continuer longtemps, mais en décembre 2000, Petite Mère s'est faite écrasée par un 4x4, devant le chantier. Dès qu'il l'a vu, Marco a embarqué la pauvre chatte chez un vétérinaire qui l'a opérée en urgence. Grave opération, puisqu'elle attendait (pour changer...) des petits, et que ces petits étaient remontés sous la peau presque jusqu'aux épaules.  L'opération a réussi (le véto en a profiter pour la stériliser). Mais il fallait maintenant trouver un lieu de convalescence. Au chantier, impossible, trop dangereux pour elle. Sur Pyroes, le bateau de Marc et Ghislaine, il y a déjà 3 chats et 3 ados. Impossible. Marc a donc convaincu Gilles de prendre la petite en convalescence sur Morgane pour 2-3 semaines.

Arrivée de Petite Mère sur Morgane

Petite Mère est donc arrivée sur notre bateau pour quelques jours... Elle a récupéré doucement, et comme nous ne voulions pas la garder, ni la remettre au chantier, nous avons commencé nous aussi à lui chercher une famille d'accueil. Rien n'est plus difficile à Tahiti. Soit les gens ont déjà des chats, soit ils n'en veulent absolument pas. Nous avons néanmoins tenté de convaincre nos amis jusqu'à quelques semaines du départ. Rien n'y a fait. Pourtant, nous avions des arguments: c'est une chatte adorable (ronron dès qu'on la touche), douce (jamais un coup de griffe), d'une patience infinie, d'une souplesse de caractère totale, mais qui détestait naviguer.

C'était son grand problème, la navigation. Le bateau au mouillage lui plaisait beaucoup : petit espace plein de recoins et de cachettes, sans prédateurs, avec des maîtres aimants, de l'animation apportée par le balai des pirogues tahitiennes ou des annexes des autres bateaux. Et puis WE, nous sommes allés à Moorea, l'île soeur située à 12 milles en face de Tahiti. Petite navigation du samedi, par beau temps, un peu de mer dans le chenal entre les 2 îles, comme d'habitude. Elle est restée planquée dans un placard durant toute la traversée. Et le dimanche, elle nous a vu re-préparer le voilier pour le retour. Elle a visiblement compris que la danse allait repartir, elle s'est posée dans notre lit, nous a regardé droit dans les yeux alors que nous finissions notre café, et elle a fait ses besoins dans le lit. Mauvaise idée. Gilles l'a attrapée par le cou, secouée, roulée dans ses excréments en criant, et finalement lancée à toute volée vers la descente. Je l'ai attrapée au vol toujours par le cou, et balancée à l'eau pour la laver. Ce fut sa première et unique engueulade à bord. La leçon a d'ailleurs porté au delà de toute espérance, puisque plus jamais, elle n'a râlé lorsque nous avons repris la mer. 

En octobre 2001, elle est donc finalement partie avec nous pour le Chili. Carnet de santé en règle et vaccins faits. Vis-à-vis des autorités chiliennes, elle était même déclarée comme "membre d'équipage" !!

La trans-Pacifique avec une chatte :

Nous n'avons rien préparé de spécial pour la chatte : pas de trans-filage entre les filières pour la retenir de passer par dessus bord, pas de médicaments anti-mal de mer (depuis, nous avons vu qu'il en existait un que nous n'avons pas testé : Maldauto de Biocanina, et même sans l'avoir testé, nous conseillons à tous les gens qui naviguent avec des animaux d'en avoir à bord). La veille du départ, Marco nous a offert un harnais afin que nous puissions attacher la minette sur le pont les premiers jours, afin qu'elle s'amarine. Car les chats ont le mal de mer. Fortement. Lors de la première étape jusqu'aux Gambier, la mer fut bonne, la brise légère et Petite Mère n'a éprouvé aucun problème. Elle appréciait autant que nous cette bonne traversée, agrémentée par la pêche d'un thon et d'un thazard. Nous ne l'avons pas attachée, c'était inutile.

La deuxième étape a failli être une catastrophe. Nous sommes partis sur une queue de dépression, la mer était très agitée. Malgré notre amarinage individuel, nous n'avions pas les ressources supplémentaires pour surveiller attentivement la chatte. Et puis nous étions persuadés qu'elle supportait ça beaucoup mieux que nous. Enfin, à a fin du quatrième jour, nous avons cherché à la faire sortir du placard où elle se terrait. C'était la catastrophe ! Elle bavait à défaut de vomir, puisqu'elle n'avait rien mangé depuis le départ. Nous avons essayé de lui faire avaler un Mercalme, elle a piqué une crise de nerf ou d'épilepsie. On a vraiment cru qu'elle allait rendre l'âme. Pendant que nous commencions à discuter pour savoir si nous n'allions pas devoir faire demi-tour, nous l'avons prise dans nos bras pour la rassurer. Nous avons décidé de ne pas la lâcher, et toute la nuit, pendant nos quarts, nous lui avons parlé. Psychothérapie appliquée à un chat. Le lendemain itou. Nous lui avons aussi promis un poisson. Mais rien n'est monté ce jour-là. Petite Mère ne mangeait toujours pas, ne buvait pas, mais ne semblait plus malade. Une deuxième nuit de psychothérapie orale a succédé à ces premières 24h. Enfin, le lendemain matin, un poisson volant a opportunément décidé de finir sa vie sur le pont de Morgane. Petite Mère s'est jetée dessus, a tout dévoré depuis la queue jusqu'au bout des ailes.

 

Dans la même journée, nous avons eu la chance d'attraper un mahi-mahi (prononcer maï-maï, dorade coryphène en français) . Ca a été l'orgie pour la chatte. Elle en a probablement mangé plusieurs centaines de grammes. 

En tout état de cause, il semble que ce soit la psychothérapie qui ait eu le plus d'influence sur elle. A partir de ce jour, nous ne l'avons plus lâchée :  longs discours lorsque nous veillions, et aussi la prendre avec nous lorsque nous étions allongés. De ce jour, dès que l'un de nous deux venait s'étendre, elle se couchait dessus. Cette modification du comportement, a priori associée à son malaise, a aussi correspondu à une façon de lutter contre une modification climatique de son environnement. Car la fraîcheur devenait de plus en plus présente au fur et à mesure de notre avancée. Petite Mère a commencé à se couvrir d'un pelage hivernale, elle qui n'avait jamais connu le froid. 

Finalement, nous n'avons pas eu besoin de faire demi-tour. Nous pouvons maintenant naviguer par tout type de mer. La chatte s'est adaptée. Elle est extraordinaire, cette petite, toute petite chatte tahitienne qui n'aurait jamais dû être là. Lors des coups de vents qui nous sont tombés dessus durant le reste du voyage, elle est restée de marbre, tout en continuant à nous regarder pour voir si nous étions toujours ses amis et un rempart contre les éléments en furie. Nous espérons que les gens qui veulent naviguer avec leur animaux auront la même réussite que nous avec cette méthode. Nous avons aussi une pensée émue pour des amis partis en même temps que nous de Tahiti pour l'ouest qui envisagent sérieusement d'arrêter leur périple en Nouvelle Calédonie car leur matou ne se sort pas du mal de mer. 

Enfin, nous sommes arrivés à Puerto Montt. On avait promis à Petite Mère du saumon chilien (ce sont maintenant les premiers producteurs mondiaux, notamment dans la région de Chiloe - Puerto Montt), elle a eu sa part. Les douanes et les services de l'Agriculture ou de l'Immigration n'ont fait aucun problème à son entrée sur le territoire chilien. 

Les canaux de Patagonie et le Cap Horn :

La suite de la ballade dans les canaux de Patagonie fut facile pour la minette. Pas de mer dans ces canaux. Lorsqu'il fait beau, elle monte sur le pont pour observer le paysage qui défile, les oiseaux curieux qui nous survolent de près. Elle dort maintenant entre nous, sous la couette de compétition que nous avons achetée à Puerto Montt. Sa fourrure continue de pousser. Elle profite au mieux de nos escales chaque soir dans de petites caletas d'où elle observe la faune qui nous entoure jusqu'à la tombée du soleil. Et c'est la première à venir vérifier le contenu de la nasse à crabes lorsque nous la remontons. Il y a régulièrement dedans des petits poissons, entre poisson-chat et truite. C'est sa part, car après 7 ans de Polynésie, nous sommes devenus exigeants sur la qualité des poissons, et ceux que nous remontons ne valent pas que l'on en mange régulièrement. 

Ce fut aussi dans ces adorables mouillages des canaux que nous l'avons débarquée à terre. Depuis son arrivée à bord, un an auparavant, elle a toujours refusé de débarquer. Le sommet avait été lors de notre dernier carénage à Technimarine : Petite Mère est montée sur le pont juste après le calage du voilier. En voyant le lieu où elle avait survécu ces dernières années, elle est rentrée à toutes jambes à l'intérieur du bateau, et elle n'est jamais retournée sur le pont de toute la durée du carénage. Un chat n'a peut-être pas de cerveau ou d'âme d'après les curés, mais la nôtre, si : elle possède une conscience aiguë de la place favorisée qu'elle occupe aujourd'hui sur Morgane, avec deux humains qui l'aiment et la nourrissent. 

Ses capacités d'adaptation nous ont bluffés. Adaptation à la navigation, au froid, à la Patagonie et sa faune nouvelle, adaptation à la neige et aux glaçons. Un jour, nous l'avons déposée en annexe sur un gros glaçon pour la photographier. Elle râlait comme un veau. Puis, nous l'avons remise dans l'annexe et avons débarqué à notre tour sur le glaçon afin de nous y faire photographier par nos amis les Mallory : dépassant sa peur, elle a sauté de l'annexe au glaçon pour rester avec nous.   

Pour finir, elle a passé le Cap Horn avec nous. Ce fut pendant une semaine le chat le plus sud du monde (à moins qu'il n'y en ait résidants en Antarctique). Son carnet de santé est composté par les gardiens du phare. Cela a beaucoup plut à Nicolas, le jeune fils des gardiens, dont Tom, de Tom et Jerry, est le héros. 

La dernière chose à rajouter concerne sa taille. Ce n'est plus un petit chat. Au ponton du Micalvi, à Puerto Williams, nous sommes devenus le bateau avec le gros chat. Vous vous rappelez de son opération, en décembre 2000, elle avait été ouverte du cou au bas du ventre. Sa ceinture abdominale avait disparue. Au début, évidemment, son ventre pendait, vide et flasque. Maintenant, il faut bien avouer qu'il traîne toujours par terre, mais qu'il est plein et rembourré.   Mais comment lui en vouloir. Elle a gagné, mieux encore que de nombreux humains, son titre de cap-hornier. Elle vit sur Morgane une vie de repos bien méritée. Elle dort trop, et ne fait pas d'exercice. Mais elle est tellement heureuse, que nous ne nous sentons pas le droit de la brimer, ne serait-ce que sur la nourriture. 

Fin de la navigation, mais pas des aventures :

Fin mars, nous avons laissé Morgane à Puerto Williams, et nous sommes partis vers l'Europe. Chargés comme des baudets, la chatte en cerise sur le gâteau. Première étape, Punta Arenas. Après négociation directe avec le commandant de bord (merci commandant !), la minette a voyagé sur nos genoux, enfermée dans la nasse à crabes sur laquelle nous avions agrafé un sac à pommes de terre pour tenir lieu de couvercle. Une puanteur de résidus de moules avariées qui avaient servi d'appât. Impossible de trouver les gouttes de passiflore que nous avait recommandée le médecin militaire de Puerto Williams pour endormir la chatte durant le voyage. L'atterrissage et le décollage sont des moments de panique pure pour elle. Même problème de passiflore à Punta Arenas plongée dans un long WE pascal. Après 48h d'escales, nous repartons pour Santiago. Cette fois-ci, Petite Mère voyage en soute, bien que la compagnie nous fasse payer le tiers du billet pour un humain... La négociation est impossible. Nous passons 4h épouvantables, surtout à l'escale de Puerto Montt, car nous savons que la chatte pourrait sortir de cette cage improvisée. A l'arrivée à Santiago, nous voyons arriver sur le tapis roulant la cage de la minette avec un homme de l'aéroport couché dessus pour l'empêcher de se sauver. Encore une gentille attention de ces chiliens, qui décidément, sont bourrés de qualités humaines.  

Nous passons 3 jours à Santiago, et embarquons après moult péripéties dans un avion Air France. Pour une raison obscure, nous payons plus de 100 euros pour la chatte, alors que nous devons nous tasser avec la caisse entre nos jambes, sans aucune accommodation particulière. Cette fois-ci la passiflore est là, et Petite Mère dort. A l'escale de Buenos Aeres, nous la laissons se promener dans la salle de transit. Croyez-nous ou pas, il y a des gens qui ont peur d'elle. A croire qu'elle qu'après ce voyage, la chatoune se soit transformée en tigre. 

La seconde partie du voyage se passe bien, et nous arrivons enfin à Paris, environ une semaine après avoir quitté Morgane. Après 24h de repos, la chatte repart avec mes parents pour leur maison. Depuis, elle est en pleine forme. Elle goûte aux joies d'une maison, d'un jardin dans un pays tempéré. Elle a l'air fondamentalement heureuse, se roule d'aise sur les tapis, passe des heures à aller et venir de l'intérieur vers l'extérieur. Il semble même qu'elle ait un peu maigri, à force d'exercices. 

Conclusion : 

 Un chat à bord est vraiment l'animal idéal. La nôtre est particulièrement tendre, c'est vrai, et nous avons aussi eu la chance que ce soit une chatte philosophe, qui a déjà tellement supporté de choses dures dans sa vie, qu'elle ne fait plus de bêtises tellement elle veut garder sa place à nos côtés, en particulier sous la couette. 

Elle va reprendre l'avion avec nous pour Santiago. Espérons qu'elle s'adaptera encore une fois à ce déménagement. La saison prochaine, elle ne devrait pas naviguer beaucoup, car elle restera à Santiago avec moi, pendant que Gilles sera dans le Sud. Néanmoins, si vous êtes allergiques aux chats, et que vous voulez naviguer avec nous, n'oubliez pas de vous renseigner sur ses périodes de présence à bord. 

Postscriptum :

Pour ceux qui se demandent ce qu'est devenue Petite Mère, voici les dernières nouvelles. Elle vit désormais à Santiago avec nous, dans un appartemant heureusement doté d'un petit jardin qui suffit aux besoins d'aventure de cette minette courageuse, mais jamais téméraire. Après quelques brèves semaines de jalousie liée à l'apparition de Louve dans la famille, elle a finalement accepté de ne plus être un enfant unique.  Comme elle s'était adaptée au bateau, aux changements de climat, aux déménagements, elle s'est adaptée à sa condition de chatte citadine. Les seules événements marquants sont nos départs en bateau (attention, elle reste douillettement à Santiago, mais doit seulement s'adapter à d'autres présences que nous à la maison), et des séances de dépucelage tous les 6 mois pour éradiquer  les puces que lui refilent consciencieusement tous les chats errants du quartier qui ont élu domicile dans notre jardin. On se demande régulièrement si elle n'a pas grossi, ou pas maigri, mais je crois qu'elle est identiquement obèse avec une stabilité désarmante. Elle doit maintenant avoir 6-7 ans, et semble avoir enfin trouvé la stabilité après laquelle les animaux domestiques semblent tous courir. 

 

 

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