Saison 2002-2003

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 A la recherche du lac perdu

Les quêtes se succèdent mais ressembleront-elles un jour ? Un jour viendra-t-il où enfin nous comprendrons pourquoi nous faisons certaines choses ?

Ce genre de réflexion, en tout cas chez moi, vient souvent lorsque l’on est en train de faire des conneries... Perché au fond d’une forêt primitive, à dix mètres au dessus d’un torrent glaciaire, sur un tronc effondré dont le balan m’inquiète, c’est ce que je me dis.

Hier, avant hier, c’était la folle descente dans le Sud et ses merveilles. La quête quasi rousseauiste de la pureté originelle. Quête couronnée de succès avec passage du Horn et adoubement des éléments. Aujourd’hui, dans ces forêts préhistoriques, les pèlerins sont transformés en explorateurs, bientôt exploiteurs et de toutes façons prédateurs.

 

Pour un observateur qui méconnaîtrait le pouvoir de destruction des humains, ces forêts paraîtraient l’essence même de l’invulnérabilité, de la beauté sauvage, de la sérénité. Ici, la vie lutte soit contre le vent, soit contre la neige implacable, et elle prodigue dès qu’elle le peut le génie de l’exubérance végétale. Dans les combes abritées des Alpes fuégiennes, les fûts des hêtres se dressent puis s’effondrent par milliers dans un amas de mousse et d’humus invraisemblable. Les pépiements d’oiseaux inconnus et minuscules rivalisent, dans la sonorité des cathédrales sylvestres, avec le chant rauque des perroquets australs et des oies féroces de ces confins du monde.

La rivière, plus torrent que Seine, que parfois nous croisons au détour d’un méandre, combat à chaque pierre pour passer dans les inextricables barrages de bois qu’elle a elle-même engendrés. Du sein presque obscur d’être confiné de ces futaies ancestrales, d’un coup, un lac lumineux surgit. Il paraît sans fin. Des vagues le parcourent et clapotent fraîchement sur ses berges rocailleuses. Les rives boisées tout au tour sont peuplées de castors, de canards, d’oies... Là-haut dans la brise, quelques grands condors planent, familiers et précis. Les cimes enneigées de la cordillère au loin ferment cet horizon de forêt qui sinon semblerait infini comme dans l’océan.

 

Les animaux nous observent comme on jauge des inconnus, sans vergogne, avec circonspection mais a priori sans crainte. Cruelle erreur pour cette oie attrapée à la main sur son nid pendant sa sieste, mauvais calcul pour ce castor macho venu trop près des deux bipèdes affirmer sa supériorité de mâle orgueilleux.

Les castors.... erreur humaine, encore une fois, introduction hasardeuse qui tourne à la catastrophe écologique majeure... Ici aussi le glas sonne et il résonne plus fort dans la nature que dans vos villes. Plus une rivière ne coule, les lacs s’étouffent devant ce fléau expansionniste presque technocratique. Rares sont les digues humaines aussi efficaces que les leurs. Des horaires de travail harassants, une assiduité de salarié japonais, un impérialisme et un manque de responsabilité dignes des nord-américains qu’ils sont d’ailleurs, voilà ce qui caractérise la société des castors fuégiens. Je ne veux pas être réincarné en rat géant tueur d’arbres.

 

Progresser dans les futaies enchevêtrées de troncs morts, s’embourber dans les castoraies, pêcher, chasser dans les tourbières, tel est notre quotidien cette année. La nuit, roulés dans un des tourmentins du voilier, nous conjurons les pluies nocturnes par des feux dignes de nos ancêtres celtes.

Nous cherchons le lac mythique, celui dont tout le monde parle au village, mais que personne ne sait atteindre. Celui où il y a dix ans, des commandos de marine ont pêché des saumons si gros qu’ils n’ont pu les ramener... Un lac immense de vingt kilomètres par cinq ou nous amènerions nos semblables pêcher pour le sport, sans prédation autre que de se nourrir; pour redécouvrir la condition de mammifère terrestre... si c’est encore possible sans hélicoptère et téléphone portable. Le compas à la main, nous suivons vaille que vaille le sud-est, le Cap Horn à peine à cent kilomètres me parait tout à coup, à moi marin, à des années lumières.

Christian, patou pyrénéen, est à sa partie. Il scrute, renifle, voit la foret. Les résultats ne se font pas attendre. Au bivouac ce soir nous mangerons sans discernement, oeufs, oies grillées, champignons de diverses sortes et baies rouges en dessert s’il vous plait.

Après 4 jours, le bon sens nous enjoint de faire demi-tour avant que la dépression qui s’installe ne nous attrape sur les hauteurs des Alpes fuégiennes que nous nous étions pourtant promis de franchir ce coup-ci. Putain de pays. Finalement les quêtes ne servent à rien, ne changent rien, leur unique but est de faire un vœu à la fin. Cela au moins reste.

« Neptune, écoute-moi, reprends ce qui est à toi et ne fais plus de cadeau... »

 Le canal Beagle: du noroeste au suroeste

Le canal suroeste du détroit de Beagle n’est ouvert à la navigation sportive et ludique que depuis trois ou quatre ans. Quelques voiliers, seuls capables de mener à bien l’exploration de ses fjords sans fin, naviguent dans ces confins dont l’austérité en fait véritablement l’antichambre de l’Antarctique. Morgane, dont les marins ne se refusent rien, est venu apporter sa contribution à l’ouvrage commun de la colonie de franchouillards qui jouent à Jules Vernes dans le dernier territoire maritime encore véritablement sauvage.

A bord, Valérie l’extraordinaire navigatrice à l’instinct infaillible dont le ventre s’arrondit de jour en jour, Gilles égal à lui-même, Christian en cours accéléré de marin de l’extrême et Pascale dont c’est la première grande expédition aux pays des merveilles.

D’un coup le voilier plonge dans un cirque de pierre géant. La roche blafarde ou grise de lichen nous surplombe tout à coup de tous côtés et de plusieurs centaines de mètres. Morgane, dans l’immense vasque d’eau noire où il vient de pénétrer, semble devenu lilliputien au pays des cyclopes. En face de nous, derrière une île verte qui emplit de son vert insultant une partie de la piscine des dieux, un grandiose glacier prend un bain de pied, ses contorsions féeriques de bleu, de blanc, de noir, montent jusqu’aux cimes invincibles et remplissent tous les méandres et vallées de la montagne. De gauche et de droite, de gigantesque falaises de glace finissent leur chute vertigineuse et immobile dans de blafards et encombrés lacs glaciaires. Entre de rares éclaircies, une pluie de neige fondue, glaciale et entêtante, éveille des milliers de cascades, dope les torrents déjà hystériques qui de toutes les moraines, combes et fissures, se précipitent dans le bassin de titan.

Notre mouillage de ce soir, bercé par les craquements des glaciers qui par intermittence déversent sans crier gare quelques centaines de tonnes sur les pentes de granit, est pelotonné dans une crique enfouie au pied des monstres. Sur une végétation rabougrie constituée de bonzaïs de hêtres et d’épineux héroïques, nous fixerons nos bouts, et dans la chaleur moite du bord, nous essayerons de faire sécher nos cirés et vêtements sur de longues garcettes tirées en travers même du carré et de la cuisine.  

Demain nous conjurerons les démons en montant voir les dieux de la montagne, ceux que véritablement les hommes devraient prier car eux seuls sont la vie de cette terre. Que les crétins porteurs de missel soient ici mille fois maudits.

La marche sera éreintante sur les pentes du cirque, mais le spectacle vu d’en haut dépasse de loin quelque talent descriptif possible.

Pour l’heure, engoncé dans mon armure de plastique, assis sur le balcon en inox du voilier, j’ai l’impression que Morgane est devenu le centre d’un cercle fabuleux qui nous contemple avec mansuétude. Voleur de beauté, cambrioleur de glacier, voilà le plus beau métier du monde pour des marins vagabonds. Quelle belle continuité pour quelqu’un qui détient mon passé.

Tout cela ne sert a rien, ne rapporte rien, ne coûte pas grand chose et je suppose que c’est pour cela que si peu le font.... c’est comme aimer, naître ou mourir, pratiquement ce sont, je le subodore, les choses les plus exceptionnelles de la vie humaine pour qui a vécu sur cette planète dans sa réalité. Mais la vie des occidentaux cathos demeurés maîtres du monde est aujourd’hui d’une telle fadeur que seuls la peur de mourir, son pendant la guerre, et l’obsession de posséder et de briller arrivent à faire fonctionner de médiocres sociétés pour de médiocres mammifères. La médiocrité est la caractéristique la plus rependue que je retrouve désormais lorsque je rentre en Europe. Médiocrité des sentiments, des projets de vie, du courage physique, mais aussi de l’intelligence qui se complet dans un vernis scolaire uniquement cérébral au mépris des deux mains qui valent mieux que notre cerveau....

Bref, voyons voir si le baromètre descend encore......

Le Cap Horn version 2003

Dans la série allons voir si les dauphins nagent au confins du monde, nous voilà partis avec l’ami Alexandre dans un nouvelle croisière de folie.

Un Cap Horn, c’est toujours pour le couple marin bateau une remise en cause, une angoisse sourde, la joie d’être à la hauteur, enfin à peu près, une débauche d’énergie pure, d’action, de choix tactiques pas toujours évidents.

Je profite d’un véritable jour de tempête, où bloqués dans une anse, nous attendons un créneau qui nous permettra de revenir un fois encore victorieux à la civilisation, pour vous livrer à chaud quelques sensations du pays des fous.

En fait, il est presque impossible de raconter cet archipel gardien de la jonction des deux grands océans. Des terres dénudées où Gaia écoute attentivement la haine des flots étendre un voile noir sur le destin des hommes. De sombres falaises sous le vent desquelles on peut se mettre à la cape le temps de manger et de remettre un peu d’ordre à bord avant de repartir de l’avant. De tortueux canaux fourbes et empierrés où, au moins, on évite le choc des vagues lors du retour. Un ou deux mouillages surs où des loutres s’aiment tendrement dans les champs de kelp. Une table à carte pleine de cartes où se joue la vie ou le malheur du navire et de ses occupants. La stature altière du fameux rocher, avec devant, le 56ème parallèle, porte de l’Antarctique....

Des manœuvres incessantes et qu’il faut réaliser du premier coup car le matos coûte cher et que le casser, c’est ici très dangereux. Des surfs exaltants dans la baie Nassau, le voilier à fond qui gronde sa joie de vivre pour le bonheur des marins. La mer montre les dents, souvent, et c’est beau, c’est périlleux. Derrière nous, les rondeurs fatiguées de l’archipel des Wollastons s’estompent. Devant nous, sa seigneurie cordillère nous tend ses bras protecteurs. Une fois encore c’est passé, une fois encore l’excellence est effleurée. Que viennent destin, joie, vie, mort, demain est demain. 

A l'année prochaine, avec un moussaillon de plus à bord.

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